Rose disparaît. Non pas abruptement, plutôt comme la bulle de champagne le fait, en laissant un petit papier sur lequel est écrit je reviens tout de suite.
Ne reste plus alors qu’à longer la longue longue plage qui longe Pärnu, longue longue plage où flotte le drapeau rouge, signe de quoi au fait ? drapeau rouge mis là tous les 75 mètres afin que nous ne l’oublions pas, afin que nous nous souvenions. Nous souvenir de quoi au juste ?
Plus de Rose. Juste la persistance rétinienne où elle avance sur l’eau en rollers skate, où elle avance ses solutions sur le plateau argenté de la Baltique.
Prends la perle des solutions, ça te fera des huîtres quatorze à la douzaine.
Désormais nous savons que Rose défiant les lois de la nature nous invite à considérer de près les moindres détails du quotidien qui sont tel un parasol planté sur la banquise d’une glace vanille pistache, détails qui invitent à l’ostréiculture, à la réflexion sur le dérèglement climatique et la résistance des fluides, et à ne pas considérer les lois de la nature et de l’histoire comme étant immuables.
Cherche une chose tu en trouveras une autre, vois une chose tu en verras une autre.
Cet habit noir qui la vêt est-il le costume féminin de Zoro ? Est-il noir de crasse ou noir parce que classe ? Porte-t-elle le deuil ? Si oui, de qui ? De quoi ? De la vieille Europe qui en voit de toutes les couleurs et agonise en poussant ses derniers soupirs sur la banquette rouge d’un Mc Do made in US ?
vendredi 12 août 11 / Parnu – Riga
Rose dort sur un banc devant un immeuble copieusement défraichit où un locataire a placé une orchidée devant sa fenêtre afin d’embellir la chambre de Rose dont le plafond se soucie peu d’elle et pleut copieusement. Laissons-la à son sommeil. A ce monde d’elle en elle où nous imaginons facilement sa main qui balaie l’injure et l’injustice et plante à la place une laitue que le ciel arrose.
La route. Un tronc blanc, un tronc roux, un blanc et puis la frontière Lettone.
Cette frontière possède un grand portique qui fait un grand m (à dire « me » plutôt que « aime ») jaune dans le paysage. Elle sent la frite et le hamburger, on la passe en grignotant tandis qu’une jeune gente féminine et masculine nous souhaite bonne route. L’Europe moderne singe l’Amérique et nous nous apprêtons à voir au bout de la route la statue de la liberté et le chantier des twin towers.
Absolutely no. Là, à trois pas de la frontière, Rose bon pied, bon œil lève le pouce défiant, déniant Lady Liberty et sa torche.
Quelques mélèzes et autant de boulots plus loin, dans la forêt Rose mange des frites Mc Do made in US.
Rien de la vérité sur Rose ne se dérobe ni ne s’effrite. Tout prend la forme de la spirale d’un vertige qui perce le socle des certitudes et débouche un puits de points d’interrogations qui seront le futur combustible du moteur à quatre temps de nos pensées.
Prends ce qui te semble perpendiculaire, c’est un œuf pour les jours suivants.
Rose. Comment dire ? Rose est toujours là. Comment le dire autrement ? Rose est une réponse là même ou aucune question n’a eu le temps de se poser. Rose est la nouvelle au règne des bonnes et mauvaises nouvelles. Rose oblique la vie. Rose oblige la vie.
Un tronc blanc, un tronc roux, un blanc
Riga. Riga c’est simple comme bonsoir, le soir il y a des couvertures à disposition du quidam sur les terrasses des bars et des restaurants et dans aucunes d’elles il n’y a Rose. Riga c’est un chat noir statufié au faîtage d’un toit dont nous savons pertinemment qu’il est l’ami des pigeons. Rose n’est pas là. A nouveau le monde rétrécit, nos yeux se ferment. C’est la nuit. Les quatre cheminées du Titanic fument au loin, le navire slalome entre des mélèzes et des boulots et des glaces surmontées du parasols, sur sa coque fond le drapeau européen dont la peinture à l’eau ne résiste pas aux vagues jaunes en forme de m made in US.
Au matin Rose dort appuyée au dos d’une dame à la station du tram Stacija Laucums. Plus précisément une dame s’adosse au rêve de Rose qui ce matin est une page blanche à en-tête de l’Europe où la dame peut écrire et dessiner ce qui lui chante. Or, ce qui lui chante ce matin c’est Non rien de rien, non, je ne regrette rien
Rose marche. Puis Rose est en train de monter dans le tram. Puis Rose est dans le tram. Puis le tram démarre, et ce n’est pas Rose qui part et s’éloigne, pas de méprise et de mépris, elle n’est pas comme ça, notre Rose, c’est le tram qui l’emmène.
samedi 13 août / Riga - Daugavpils
Force est de le constater, il n’y a aucun pêcheur sur les rives du fleuve Daugava. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi ? Comment ? Mai où est donc or ni car ?
Accouche des questions. Beaucoup. Elles ne seront pas orphelines et s’amuserons d’avantage.
Les questions nous les post-itons en rose et jaune en haut du pare-brise. Ça fait un pare-soleil qui sert aussi les soirs de pleine lune.
Ici la route n’est pas une flânerie ou une pochtronnerie qui tourne de droite et de gauche. La route est une chose sérieuse qui sait que le plus court chemin d’un point à un autre est la ligne droite. N’empêche que Rose, que doucement nous dépassons, ne peut s’empêcher d’y aller d’un bord l’autre. Ceci qui est le signe flagrant de sa rectitude à ne jamais se soumettre à un ordre quelconque.
Ici comme ailleurs avant, les Pays Baltes sont un plat pays qui sied bien aux mollets de Rose qui redoute les dénivelés à monter autant qu’à descendre. Sans doute est-ce pour cela qu’elle les arpente de jour comme de nuit ne se séparant jamais de cette manière de sourire qui est un des traits caractéristique qui nous la fait reconnaître parmi mille.
Sous son chapeau Rose avance sans rien voir du ciel qui lui tombe sur la tête, ni de Mars, la planète rouge où va bientôt se monter un Mc Do made in US. Ni de Dieu, qui, pistolet sur la tempe, avoue que c’est lui et personne d’autre qui a inventé la vodka à seule fin que l’homme oublie régulièrement qu’il habite un pays où personne jamais ne sourit.
Soudain là sous les post it surgit la frontière entre Lettonie et Biélorussie. C’est pas une rigolade avec Donald le clown de chez Mc Do made in US. Une vraie frontière avec files de camions et gardien du temple européen, chemise et pantalon beigeasse à laver à soixante degrés. A cent mètres on sait qu’on a pas gardé les vaches ensemble et qu’on ne le fera d’ailleurs jamais.
On ne passe pas. No pasaran. Stop. On fait demi-tour. On se fait tout petit. On met un silencieux sous ses semelles. On se colle quelques feuilles de boulot dans les cheveux. On est déjà une toute petite silhouette au loin. Petit point qui diminue encore. A peine la moitié d’un pixel. Jusqu’à disparaître. Tout ceci en si peu de temps que finalement le douanier boit une nouvelle gorgée de café sans qu’il est eu le temps de refroidir.
Lorsque tu crois que tu diminues et disparais, lorsque tu le crois et te le dis, c’est que tu crois aux miracles, profite en pour changer l’or en pneus neufs pour les rollers skate de ton destin.
Le douanier ne connaît pas les secousses qui font trembler l’Europe ; la surface de son café est tout à fait lisse
Il n’y a pas si longtemps, lorsque l’homme s’ennuyait il moulait des soldats de plomb. Aujourd’hui il fabrique des douaniers dont les nerfs sont en acier trempé.
Question sur post it : y a-t-il des douaniers sans frontière ?
Question sur post it : que voit Rose ? a-t-elle parfois envie de gifler sur les deux joues ce qu’elle voit ?
La route en cinquième vitesse. Puis Daugavpils, notre première ville en trois syllabes. Un truc à dire qui remue le train train quotidien de nos maxillaires. Une concentration à avoir au moment de le dire qui nous met pile dans le mot, dans chacune de ses syllabes, pile dans ce que nous disons. Assurément c’est Rose qui mène nos pas par ici afin que nous pensions exactement à ce que nous émettons.
Daugavpils, une ville aux rues à angles droits où on a tôt fait de tourner en rond, comme le fait un gamin au torse nu, au pantalon de jogging coupé à mi mollets qui tourne sur le stade sur la piste de terre et d’herbe, tourne comme les aiguilles d’une horloge sur une horloge qui s’est arrêtée il y a exactement 59 ans, alors que Emil Zatopek gagnait le 5000, le 10 000 et le marathon aux jeux olympiques et déclarait qu’il était tout à fait pour un socialisme à visage humain
- Vous êtes certains de ça Emil ?
- A visage humain, répète-t-il dans un souffle. C’est que d’une part il vient de franchir la ligne d’arrivée et c’est que d’autre part il n’ignore pas qu’une phrase dite tout bas à infiniment plus de chance qu’un cri de faire le tour du monde. Chose que Rose applique à la perfection en se taisant très fort.
dimanche 14 août / Daugavpils - Vilnius
Entre Daugavpils et Vilnius il y a une première frontière, celle qui permet d’enter en Lituanie et que nous passons en sautillant comme à la marelle et en sifflotant, nous aurions un pigeon sous la main on le peindrait en rose et le lâcherait comme un ballon de baudruche.
Route. A main gauche est un chemin. A main droite de ce chemin vers la frontière entre lettons et biélorusses est une jolie maison jaune, la dernière avant les miradors. Y habite un petit chien noir et blanc qui fête les passants. Personne ne l’a dressé, il s’est fait tout seul comme un grand sinon il serait quelque chose comme un rockweller.
No man’s land. On se demande pertinemment qui de l’œuf qui de la poule ? Autrement dit qui de l’homme et qui de la cigogne ? Sont-ce les cigognes qui font leurs nids pareils à des miradors ? Est-ce le contraire ? Et ça, quand bien même nous n’avons pas la réponse, ça nous fait une nouvelle question sur post it. Un jaune.
Route. Plus de mélèzes, plus de boulots, des lacs, des baignades. Ici le monde entier se baigne en tentant l’étrange gymnastique de ne pas trop se rafraîchir les idées.
Route. De plouf en plouf arrivée à Vilnius. Si une ville est une ruche, Vilnius se gratte carrément la tête en se demandant de quelle nationalité est sa reine ? Pour quelle boutique elle bosse ? Carrefour ou Mc Do made in US ? Leclerc ou Leroy Merlin ?
lundi 15 août / Vilnius - Druskininkai
Rose n’est pas ici et ce faisant Rose est partout. Magie de Rose. Omniprésence de Rose. De ses faits et de ses gestes, de ses pensées, de ses petits mots qui cavalent entre nos deux yeux, là où s’étend le vaste champ des possibles où sont plantées des laitues en rang d’oignons.
Arrose tes laitues, elles te feront des parapluies pour Aurillac.
Route.
La route est un nerf optique mis dans un tuyau d’oreille afin trouver à l’autre bout celui qui n’est personne d’autre que toi-même.
Si tu ne te vois pas au loin munie-toi d’un cornet auditif.
La pancarte de la petite ville est à droite de la chaussée. Des yeux nous lisons le nom sans oser le mettre en bouche, nous nous y essayons et nous y entrainons mentalement, et finalement tentons en séparant tout d’abord les syllabes, Dru ski, Drus ki nin kai, puis en les joignant, Druskininkai, Druskininkai, Druskininkai, en pensant exactement à ce que nous émettons.
Pense à ce que tu dis, puis caresse ton front pour penser à autre chose.
Après la pancarte, à gauche il y a l’entrée du parc d’attraction. Dix ans que Staline, Lénine, Marx et Cie ne sont plus dans les rues de Vilnius et sont dans les allées de ce parc de Grüto. Dix ans qu’ils vivent désamorcés et que personne ne craint de leur faire pipi dessus sans que cela provoque une explosion qui transforme tout visage humain en une bouillie impropre à la consommation.
Dix ans. Dans combien de temps les Mc Do made in US seront-ils démontés puis remontés dans un parc d’attraction ? Nouveau post it. Un rose.
mardi, mercredi / sur la route des fous en Pologne puis sains et saufs sur l’autostrade en Allemagne
Le pare-brise est couvert de post it aussi nous dirigeons-nous en fixant dans le rétro la route qui est derrière nous.
Rose n’est pas le Petit Poucet, ses cailloux sont devant elle. C’est là qu’elle les a semés en un passé pas si lointain que ça qui est son futur proche.
Rose avance. Rose se tait. C’est sans doute qu’elle sait à qui parler ; à elle-même. Ce qui ne nécessite nullement l’usage de la voix haute.
les jours suivants et les autres ensuite / ici
Demeurent les pigeons. La municipalité leur a supprimé quelques arbres pour faire un parking. Ils sont maintenant d’avantage au centre ville où ils ont fait la connaissance d’une vieille dame qui leur offre trois fois par jour trois poignées de graines. Doucement nous l’appelons Rose. Elle ne détourne pas la tête, toute occupée qu’elle est à jeter les graines qui font crou crou en touchant le sol.
Conserve les questions. Efface les post it. Il y aura d’autres questions.
Les sept photographie s ci-dessus ont été installées au Musée Pincée ( une commande du Festival les Accroches Coeurs) in situ en septembre 2011 à Angers au format 3m x 2m pendant que Rose jouait dans la ville et qu'une lecture des textes était faite par Rémi Checchetto. Puis à Ornans au Musée Courbet dans le cadre de la Nuit des Musées.